L'histoire des Japonais considérés comme des ennemis et internés aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale, je l'avais découverte dans une exposition du photographe Ansel Adams, qui se tenait à la Maison de l'Image Documentaire à Sète (dans le cadre d'ImagesSingulières) au printemps dernier.
Voici ce que disait le programme:
(en cliquant sur le texte, j'espère qu'il sera lisible...)
Le roman de Julie Otsuka raconte l'histoire de ces Japonais du point de vue des femmes. Celles-ci sont arrivées toutes jeunes du Japon pour épouser un homme qu'elles ne connaissaient pas: pauvreté, besoin de quitter son pays... les motivations sont diverses. Mais une fois aux Etats-Unis, les beaux et riches Américains dont elles rêvaient se révèlent en fait pour la plupart des immigrants japonais pauvres, travaillant à la campagne, parfois en ville, dans une blanchisserie, qui ont besoin d'une main d'oeuvre féminine docile et travailleuse.
Nos maris nous faisaient trimer comme des esclaves. Ils importent ces filles du Japon pour avoir de la main d'oeuvre gratuite. Nous travaillions aux champs du matin au soir sans même nous arrêter pour manger. Nous travaillions aux champs tard dans la nuit à la lumière de nos lampes à pétrole. Jamais nous ne prenions un jour de congé. Une horloge et un lit, voilà deux choses que le paysan japonais n'utilisera jamais dans sa vie. (...) Nous formions une machine économique imbattable, irrésistible (...)
Elles passent par toutes les formes d'esclavage dont le viol, acceptent, se soumettent pour la plupart, fondent une famille. Elles ont des enfants qui réussissent et qui oublient la culture de leur mère.
Un par un les mots anciens que nous leur avions enseignés disparaissaient de leur tête. Ils oubliaient le nom des fleurs en japonais. Ils oubliaient le nom des couleurs. Celui du dieu renard, du dieu du tonnerre, celui de la pauvreté, auquel nous ne pouvions échapper.(...)
Surtout ils avaient honte de nous. De nos pauvres chapeaux de paille et de nos vêtements miteux. De notre accent prononcé.
Mais quand vient le temps de voir grandir les enfants, de voir tant d'efforts peut-être récompensés, la guerre éclate et elles -et toute leur famille- sont vues comme des ennemis dangereux.
Pendant plusieurs jours nous sommes restés chez nous, volets clos, à écouter les nouvelles de la guerre à la radio.Nous avions effacé nos noms des boites aux lettres. Retiré les souliers posés devant nos portes. Nous n'envoyions plus les enfants à l'école. La nuit nous tirions les verrous et parlions à voix basse. (...)
On disait que les hommes étaient mis dans des trains et qu'on les envoyait au loin, dans les montagnes, dans les régions les plus froides du pays.
Ce formidable récit (découvert grâce à Joe, merci!), à la première personne du pluriel, donne à entendre le destin de ces femmes, à la manière d'un choeur. Dans le dernier chapitre de Certaines n'avaient jamais vu la mer, leur parole est relayée par celle des femmes américaines, leurs voisines, qui, passée l'indignation du moment, vont peu à peu les oublier...
Nous avons procédé aux ultimes lessives dans nos blanchisseries. Mis sous clé les vivres dans nos épicerie. Balayé les sols. fait nos bagages. Nous avons rassemblé nos enfants et, de tous les villages, dans toutes les vallées, de chacune des villes qui bordent la côte, nous avons commencé à partir.
Les feuilles des arbres continuaient à tournoyer au vent. Les rivières à couler. Les inscetes bourdonnaient dans l'herbe comme toujours. Les corbeaux croassaient. Le ciel ne s'effondrait pas. Le président ne changeait pas d'avis. (...) Un chat effrayé a plongé sous un lit dans l'une de nos maisons quand les pillards ont défoncé la porte d'entrée. Rideaux déchirés. Verre brisé. Vaisselle de mariage fracassée sur le plancher. Nous savions que c'était seulement une question de temps avant que toute trace de notre présence disparaisse.
Les oublier jusqu'à ce qu'aujourd'hui, justice leur soit enfin rendue avec cette histoire collective douloureuse.
Commentaires
kikou Christine,
félicitations pour la photo du jour.
Très bon dimanche ma belle.
Suis toujours à Vannes.
Grosse bise